dimanche 20 juillet 2008

A propos de l’œuvre Collection.


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Texte de Yannick Kujawa.

Que peut-on dire d’une œuvre qu’on n’a jamais vue, a fortiori lorsqu’on est un quasi parfait néophyte en matière disons d’art contemporain? A cette question je connais la réponse… Quoiqu’il en soit l’œuvre m’interpelle… Donc. Voici quelques éléments de réflexion dont vous pardonnerez l’ingénuité.

Fond noir. C’est le fond noir qui semble donner l’image des papillons. Du moins au premier abord. Le noir semble offrir, effectivement. Comme venu de l’auteur, le noir offre à celui qui se donne le temps de contempler le cadre. Les papillons apparaissent, propositions généreuses, mais comme cernées, creusées par le tragique, le noir les cerne. Ils sont la fragile proposition de l’artiste. C’est pourquoi l’on pourrait avancer, et c’est-ce qui en ferait la force, que Collection est une œuvre à la limite, à la limite une oeuvre.

Et en effet, on joue sur la confusion des genres. Emprunt évident aux collections que l’on trouve parfois encore dans de sombres et puants musées, Collection nous emmène sur le terrain de l’art visuel. Il ne s’agit plus de classer, de catégoriser les espèces, pour en admirer la beauté préexistante, d’allier science et sentiment esthétique de la nature. Mais de multiplier les êtres sans nom, simulacres vivants, de pénétrer une ère cosmique qui serait celle de l’art. La barbarie des hommes, celle de la classification semble annihilée, réduite à néant par un doux, et magnifique stratagème d‘infinitude. L’art semble le moyen de dépasser la nature, mais pas seulement: l’œuvre ici épargne la nature. Et non pas en la niant mais en lui ajoutant. On retrouve ici les caractéristiques du romantisme, si je ne me trompe. Cependant, et il faut le souligner, rien ici de la vigueur de l’art romantique. L’emprunt scientifique, s’il met en place un oxymore émouvant met en quelque sorte à distance le spectateur, il lui interdit, comme il l’interdit à l’auteur, le simple lyrisme. Ou alors si lyrisme il y a, c’est tout juste, timide. La confusion des genres est à l’œuvre, elle permet l’œuvre mais l’interdit presque. Est-ce de l’art, en somme? In extremis.

De même, tout à l’heure, j’insistais sur le fait que les ténèbres de l’artiste sembler donner. Le don est réel, je pense. Mais la possibilité de ce don repose sur la présence de formes blanches découpées à la main, qui accueillent la lumière et les couleurs. Je ne peux m’empêcher de les associer à des masques. Sans ces blancheurs apposées sur la surface noire nul papillon ne pourrait se présenter à nos yeux. D’une certaine manière le fond a quelque chose, par son évidence présence, de sincère, et presque d’obscène, alors que la blanc se cache, se dissimule, semblable à la conscience de l’artiste qui sait que l’art n’a rien à voir avec la vérité, que l’Art est truqué toujours, quand bien même ce qui compte dépasse toujours l’artiste. Une émotion, plusieurs. Une expression conviendrait à ce lyrisme nouveau. Je l’emprunterai à un certain art de la poésie contemporaine: le lyrisme critique. Lyrisme à distance.

Et puis, où est l’artiste? Le fond noir, c’est lui? Je faisais jusqu’ici mine de placer les ténèbres de l’artiste dans le cadre à contempler. Est-ce toutefois si simple? Nous avons bien affaire à une projection. S’il y a masque blanc, à ce visage de papillon, ce qui nous autoriserait à voir dans l’œuvre une dimension autobiographique, floue certes, c’est que l’image vient d’ailleurs. Où se situe Erwan? Dans la multiplication des images qui donnent le mouvement, c’est-à-dire dans le travail évident de l’artiste, évident à cause de la machine présente, imposante, électricité, ventilateur, multiplication d’aquarelles, où dans ce qui semble donner à voir les papillons: le fond noir? L’Œuvre connaît un trajet: tout se passe comme si la genèse de l’œuvre nous était donnée à voir, alors que dans le même temps l’on passe de la technique, pour être caricatural, de l’atelier, à l’infini de la projection, du sentiment esthétique. Je ne me trompais pas tout à l’heure lorsque j’avançais que l’auteur se situait dans la toile, dans le noir, je perçois même cela comme non seulement la projection dans une nuit romantique, impossible, oxymorique encore une fois, infinie, où lumière et obscurité se juxtaposent pour s’alimenter, mais comme une espèce de retour aux sources : ce que l’œuvre d’art projette, nous pourrions dire que c’est l’âme de l’artiste, sa réalisation et son image primordiale. Le symbole de ce qui pousse l’artiste à œuvrer. Néanmoins, on l’a dit; le masque existe, le projecteur également. Ils sont entre deux. Ils rendent l’œuvre possible et soulignent l’impossibilité de l’accès à ce que certains aimeront appeler la Vérité. Cette œuvre, Collection, d’aucuns la trouveront naïve, et elle l’est, comme elle ne l’est pas du tout. Naïveté critique. Beaucoup moins naïve que celle des savants collectionnant les cadavres sous prétexte de science et de savoir.
Je n’ai pas fini. Je sais que l’animation forme une boucle. Concrétisation du sentiment d’éternité encore, comme le symbole de l’âme que représente le papillon, comme la nuit romantique. Toutefois il n’est guère possible que cette installation se poursuive sans cesse. La machine chauffe, et c’est dans notre intérêt. La boucle se brise, et reprend. Le masque apparaît, ses blancheurs. L’âme disparaît. Le cadre noir plus que cadre noir. Gouffre rigoureux. Tout tombe à plat, avec évidence. Et puis de nouveau la magie tente d’opérer et par cette tentative opère.
Ce que je ressens en parlant de cette œuvre, c’est vraiment le sentiment d’un effort désespéré, ultime de la part de l’artiste pour s’exprimer, pousser au dehors ce qui restera à jamais au-dedans, mystérieux. Une œuvre ostensiblement Romantique et Critique.
M.K



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